
La menace planait depuis des semaines. Vendredi 14 mars 2025, l’agence de notation Fitch, attendue au tournant par les marchés et le gouvernement français, a tranché : la note souveraine de la France reste inchangée à AA-, malgré le maintien d’une perspective négative. Si ce statu quo apporte un soulagement temporaire à Bercy, il ne gomme en rien les fragilités structurelles d’une économie française sous pression budgétaire. Décryptage !
Un sursis, pas un blanc-seing
D’emblée, il faut savoir que la décision de Fitch constitue avant tout un sursis. L’agence américaine avait déjà rétrogradé la note de la France en avril 2023, avant de basculer vers une perspective négative en octobre dernier. Le signal était clair : la solidité financière de la France est désormais scrutée avec méfiance. Pourquoi cette indulgence, alors que les signaux d’alerte se sont multipliés ces derniers mois ? D’après le rapport publié par Fitch, la France conserve une économie « vaste et diversifiée », adossée à des institutions « fortes et efficaces ». L’adoption du budget 2025 et l’engagement affiché de l’exécutif en faveur d’une trajectoire de consolidation budgétaire ont également joué en sa faveur, même si le cap reste flou et semé d’embûches.
Côté gouvernement, la réaction ne s’est pas fait attendre. Le ministère des Finances a salué une décision qui « témoigne de la très haute qualité de la signature française », tout en réaffirmant sa volonté de réduire les déficits et de stabiliser la dette. Reste à convaincre les investisseurs – et surtout les autres agences de notation – que cette volonté politique se traduira concrètement.
Une note à la croisée des chemins
Le maintien de la note AA- par Fitch masque difficilement une réalité budgétaire préoccupante, et pour cause. Avec une dette publique atteignant 3303 milliards d’euros à la fin du troisième trimestre 2024, soit 113,7 % du PIB, la France figure parmi les Etats les plus endettés de la zone euro. Le déficit, lui, reste très au-delà du seuil de Maastricht, à environ 6 % du PIB en 2024, avec une prévision de 5,4 % pour 2025.
Pour les agences de notation (que ce soit Fitch qui appartenait à monsieur de Lacharrière et est désormais propriété de Hearst, ou bien Standard & Poor’s ou Moody’s), ces niveaux ne sont pas soutenables sans plan crédible de redressement budgétaire. Et c’est bien là que le bât blesse. Malgré les 50 milliards d’euros d’économies annoncées pour 2025, le gouvernement peine à convaincre de sa capacité à rétablir l’équilibre, d’autant plus que les perspectives de croissance ont été abaissées à 0,9 % pour l’année prochaine, loin des 1,2 % initialement anticipés par l’agence.
Autre point d’inquiétude : les tensions géopolitiques croissantes. Les nouvelles dépenses de défense annoncées au niveau européen, notamment le plan de 800 milliards d’euros porté par Bruxelles, ont déjà fait grimper le taux d’emprunt français à 10 ans, qui a atteint 3,6 %, un niveau inédit depuis 2011. Un coût du crédit en hausse qui pourrait rapidement mettre à mal les efforts budgétaires.
Un contexte européen défavorable
Bien que Fitch n’avait pas hésité à dégrader la note des USA en 2023 comme l’explique ce site, le maintien de la note française doit également être lu à l’aune des comparaisons intra-européennes. Car comme le souligne Eric Dor, économiste à l’IESEG, les écarts de notation deviennent de plus en plus difficiles à justifier, notamment avec des pays comme l’Espagne ou le Portugal, dont les niveaux de dette et de déficit sont désormais inférieurs à ceux de la France. Ces pays, historiquement moins bien notés, pourraient bientôt afficher de meilleurs fondamentaux, posant une question embarrassante pour Fitch et ses concurrentes.
Dans ce contexte, la décision de maintenir la note actuelle pourrait être perçue comme un pari risqué, voire politique, misant sur une reprise de la dynamique budgétaire française. Mais les marchés n’ont pas attendu Fitch pour réévaluer leur perception du risque : les taux se sont déjà ajustés, et l’annonce de ce vendredi ne devrait pas bouleverser l’équilibre en place. Au contraire, elle agit comme un avertissement à retardement.
Vers une pression accrue de Standard & Poor’s
Désormais, tous les regards se tournent vers Standard & Poor’s, qui doit prochainement actualiser sa propre notation. En février, l’agence a elle aussi basculé la France en perspective négative, malgré le maintien du AA-. Moins clémente que Fitch, et davantage suivie par les grands investisseurs, S&P pourrait se montrer plus sévère si les comptes publics français ne s’améliorent pas rapidement. Quant à Moody’s, la troisième grande agence, elle conserve une notation équivalente (Aa3), mais avec une perspective stable. Une position qui pourrait évoluer à moyen terme, en fonction de la dynamique des deux autres agences et des décisions politiques à venir.